Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme
Coucou, les gens. Aujourd’hui, on est invités à s’habiller en bleu pour sensibiliser à l’autisme. Je me suis habillée en bleu, mais ça passe plutôt inaperçu. Alors, je me suis dit qu’un petit témoignage serait peut-être plus efficace, même s’il me coûte et m’expose. Et puisqu'il s’agit de sensibiliser, je voudrais l’axer sur l’invisibilité.
Eh oui, si vous l’avez rencontrée, vous connaissez sûrement déjà ce que j’appelle “son côté waouh!”. Elle est merveilleuse, elle est brillante, ultra-motivée, elle a une créativité infinie, elle semble tout capter hyper vite, elle a une mémoire extraordinaire. Si vous l’avez vue sur scène, vous vous en souvenez encore, parce que cette petite, vraiment, elle a un truc. Et elle adore quand on croise quelqu’un qui dit “oh mais je te connais, je t’ai vue sur scène etc. blablabla”. Et ça arrive régulièrement. Mais ce n’est pas une star du showbiz. Juste une petite fille…comme les autres?
Ce que vous ne savez pas, c’est qu’avant de se lever pour son entraînement ce matin, elle pleurait de fatigue dans son lit malgré une nuit de 12h de sommeil. Ce que vous ne savez pas, c’est qu'il a fallu attendre presque huit ans pour qu’elle dorme correctement (et que ça ne s’est pas fait tout seul, juste “en grandissant”) et qu’il faut en moyenne 30 minutes pour ouvrir les volets progressivement le matin, parce que c’est une véritable torture pour elle de s’adapter à la luminosité. Ce que vous ne savez pas, c’est qu’elle a fait une crise comme une enfant de deux ans pour que je lui cuise des pâtes alors qu’il y avait déjà des raviolis, parce que j’ai fait des pâtes plusieurs mercredis de suite et que donc, “le mercredi, je mange des pâtes au fromage”, c’est devenu malgré moi et sans qu’on me prévienne une règle gravée dans le marbre. Ce que vous ne savez pas, c’est qu’elle adore le mercredi parce qu’elle a ses activités préférées et aime voir plein de monde, mais que les interactions l’épuisent. Pour plusieurs jours.
Oh, bien sûr, il y a encore plein de choses que vous ne savez pas sur elle. Mais je voudrais vous parler aussi un peu de moi, sa maman, puisqu’on parle d’invisibilité. Alors moi, j’ai embrassé mon rôle de maman comme le plus beau rôle de ma vie - et ça l’est, mais c’est aussi le plus difficile. J’ai mis ma vie professionnelle entre parenthèses puis je l’ai réinventée, pour répondre aux besoins de ma famille autant qu’à mes aspirations. J’instruis mes enfants mais je dois sans arrêt me justifier - auprès de l'éducation nationale, des passants (oui, oui…des enfants en liberté un jeudi matin, bouh, c’est pas bien, faut aller à l’école etc.), mais aussi des professionnels censés nous accompagner. Pourquoi? Bah parce qu’en France, on pense encore que l’autisme (et d’ailleurs tout le reste qui n’irait pas), c’est de la faute de la mère. Il y a quinze jours, un médecin m’a dit “Madame, ne vous trompez pas de combat! C’est bien beau de vouloir coller une étiquette à votre fille, mais il faudrait surtout travailler sur vous pour apprendre à la lâcher”. Il voyait ma fille pour la première fois, il l’a obligée à le regarder dans les yeux (si ça ne vous fait pas frémir, je vous invite à lire quelques lignes sur les caractéristiques de l’autisme) et elle s’est réfugiée contre moi. On avait fait 1h30 de route pour le consulter, on s'était levés deux heures plus tôt que d’habitude, il l’a vue 20 minutes. Mais voilà, quand on ne va pas à l’école, c’est que Maman ne veut pas lâcher ses enfants. Ce n’est pas parce que l’école ne s’adapte pas aux enfants en général et encore moins aux atypiques. Alors la maman que je suis encaisse. Encore. Non seulement le quotidien ultra compliqué. Mais aussi les regards et remarques à l’extérieur (“il va falloir lui expliquer que blablabla ça ne se fait pas” - oh, merci, j’y avais pas pensé et j’ai pas essayé, tiens… Bon, on ne parlera même pas de ceux qui suggèrent le martinet). Et encore le jugement des “professionnels” qui sont censés nous aider mais ajoutent finalement à notre errance...
Mais il est où, le papa? Bah il est super, le papa, ultra présent et tout et tout. Mais y a rien à faire: dans la tête des gens, c’est Maman qui ramasse, d’autant plus que c’est moi qui suis là en journée (faut bien qu’un de nous fasse bouillir la marmite).
Et puis, dans le clan des invisibles, il y a une merveilleuse petite sœur d’une bienveillance infinie, d’une patience inouïe qui nous fait l’honneur de grandir auprès de nous et de nous montrer que c’est possible de garder l’espoir et de ramener la joie même dans le chaos.
Et vous, dans tout ça? Eh bien vous êtes peut-être l’amie toujours dispo par message quand je craque à 23h, une prof qui aide ma fille à se surpasser tout en respectant ses limites, une de mes super thérapeutes, notre incroyable médecin traitant, l’éducatrice spécialisée qui nous a enfin entendus, ou peut-être simplement l’autre maman qui prend le relais à la danse pour refaire la couette de ma grande et éviter une guerre mondiale, ou encore une autre qui m’écoute retenir mes larmes parce que l’aprèm a été rude - merci du fond du cœur. Et si vous n’êtes encore rien de tout ça, vous êtes déjà celui ou celle qui a lu mon témoignage, puisse-t-il vous donner envie de tendre la main à une maman qui en a gros sur la patate et vous aider à regarder les enfants des autres différemment.